dimanche 23 octobre 2011

Pourquoi ils méditent? Dossier Nouvel obs Les pouvoirs de la méditation

Les cadres surmenés sont de plus en plus nombreux à «observer leur souffle» et à «regarder leurs pensées passer». Que cherchent-ils ? Que trouvent-ils ? Leurs réponses


Tous les jours – à l’hôtel, dans un avion, chez lui ou plus rarement à l’arrêt du bus – Jean-Michel, 47 ans, médite. Au moins deux heures. Une le matin, une le soir. Artiste, toujours par monts et par vaux, il s’astreint à cette discipline. «Mais attention vous allez décourager vos lecteurs si vous citez mon exemple. » Que Jean-Michel reste serein : il y a autant de pratiques de méditation que de méditants (voir p. 16). Surtout parmi ceux qui le font en «indépendant», c’est-à-dire sans maître ni gourou de peur d’être embrigadés dans une chapelle, voire une secte. Ceux-là pratiquent une sorte de méditation à la carte. Avec l’aide d’un manuel livre ou CD – ou les conseils d’un ami plus expérimenté. Ils forment les bataillons des nouveaux convertis. On les trouve de plus en plus nombreux parmi les «branchés». Citadins hyperactifs, comme ils se définissent en quête de la touche pause.
Jean-Michel organise parfois chez lui des séances de méditation informelles. Il y convie des aguerris comme lui et quelques néophytes. C’est à cette occasion qu’une de ses amies, Valérie, a sauté le pas. Scientifique de formation, plutôt cartésienne, femme d’affaires dans la mode, cette mère de deux enfants « tournait autour du truc » sans se décider vraiment. «J’avais une appréhension pour les stages beatniks. » Trois heures à «observer son souffle et regarder ses pensées passer», et la voici prête à recommencer. C’était il y a quinze jours. Elle n’en a pas eu l’occasion depuis. Mais son état en postméditation lui a plu. «Je planais. » Peut-être trop, d’ailleurs, au goût de la chasseuse de têtes chez laquelle elle a, dans la foulée, rendez-vous : «J’avais la tête ailleurs. Je ne cherchais pas à me vendre. Je n’avais plus la niaque. »
Valérie est encore un peu béotienne pour discourir longuement des vertus de la méditation. Mais pas des motivations : « On reçoit 1600 mails par jour On est sur son BlackBerry en permanence. Il faut absolument trouver quelque chose pour contrecarrer ces technologies qui nous font faire tout plus rapidement. » Tout comme elle, Lucie, 38 ans, est, selon son expression, une «Parisienne typique un peu stressée ». Cette responsable de relations institutionnelles se compare même au lapin survolté de Duracell. Arrive un moment « où il faut trouver le bouton on-off pour ne plus être dans une agitation continuelle». Voilà le leitmotiv. Prendre le temps de respirer (au sens le plus méditant du terme). Vingt minutes par jour, le plus régulièrement possible. Seul le plus souvent et parfois en petits groupes : une étudiante en socio, un informaticien, un architecte… des CSP++ mais d’horizons variés. Quelques babas cool et beaucoup de branchés. C’est «une expérience radicale pour des gens nerveux et bêtes comme moi» et « un travail qui permet de refaire une page blanche». Pour Jean- Michel, c’est « comme reconfigurer un disque dur ».
« On est dans une bulle »
Du lapin, on passe à la «centrale électrique » ou à la « centrifugeuse » avec Violaine. Ce sont les deux expressions utilisées par cette créatrice dans la pub pour décrire sa vie professionnelle. A 33 ans, cette autre jolie jeune femme a déjà l’impression de s’être brûlé les ailes au boulot : le stress, les ego des gens… «Je ne veux pas être abîmée par ça. » Du yoga, la voilà tout naturellement tombée dedans. « C’est un moment pour soi. On est dans une bulle. Cela permet d’être plus puissant dans le quotidien. Plus détendu. » Elle parle de sa génération « moins obsédée que la précédente par le boulot, le fric… Et plus concernée par la planète, la nécessité d’agir de manière harmonieuse avec son environnement et avec soi ».
Paul a approximativement le même âge. Lui aussi dit avoir « marné pour ses études », pour trouver un boulot et le conserver. Installé à Turin, il est consultant en organisation dans une multinationale. «Beaucoup de déplacements, trop de stress. » Il a aussi pas mal fait la fête. «Et tout à coup, tu réalises que ça ne te rend pas heureux. » Un copain passe par là qui a « fait vipassana ». Et Paul saute à pieds joints : c’est une retraite de dix jours dans un centre bouddhique : «Les trois premiers, tu médites sur l’air qui entre et sort de tes narines. Les sept autres, tu les consacres à observer ce qui se passe sur ta peau, dans chaque partie de ton corps. » Ambiance « hypermonacale » : interdit de parler, de regarder, de toucher les autres. Lever 6 heures, menu végétarien. Mais c’est, dit Jean-Michel, lui aussi adepte de vipassana, à chaque fois un « travail de nettoyage intérieur profond». Ce serait aussi le contexte idéal pour parvenir à l’« équanimité » (la sérénité, grosso modo), le tout sans engagement d’aucune sorte. Dans les centres bouddhiques, «ces vipassana sont basées sur le bénévolat». Autrement dit, c’est gratuit. On donne ce que l’on veut. «Je me suis royalement défaussé de 100 euros. Ce sont les vacances les moins chères de ma vie», dit Paul, en riant.
C’est à cette occasion qu’ils ont fait leur apprentissage. D’autres comme Sandrine, scénariste et comédienne, l’ont fait dans un livre, et surtout grâce au CD vendu avec. Et pour le moment, cela lui suffit. Elle est, comme les autres, «une bobo branchée qui veut pouvoir se débrancher à un moment donné ». Tous les matins, donc, pendant une demi-heure, elle «se pose pour être uniquement dans le moment présent ». Depuis qu’elle médite – quatre ans tout de même -, le « brouhaha névrotique de son cerveau » lui serait apparu clairement : «Je me suis aperçue que mon esprit, de manière naturelle, se créait des zones d’anxiété. » Pourtant, ajoute- telle, l’idée n’est pas d’empêcher ses pensées de défiler. Mais d’en être consciente. Grâce à cet «apprentissage de distance par rapport à soi», Sandrine – qui suit en parallèle une analyse – a « changé de point de vue sur elle-même» : «J’ai ainsi pris conscience que je passais mon temps à me détester. »
Quelques-uns de ses proches ont été convaincus. C’est comme ça, par capillarité amicale, que se propage l’art de la méditation. Certains abandonnent en cours de route. D’autres s’accrochent au risque, parfois, d’en faire trop. «Le danger réel, c’est la déconnection. Le nombre de mecs que tu rencontres et qui sont fracassés te fait réfléchir, remarque Paul avant de reprendre à son compte cet adage, il faut méditer pour vivre et non pas vivre pour méditer. »
Nicole Pénicaut

Bernard Giraudeau « J’ai pu accepter de mourir »

La méditation autorise l’exploration d’un territoire intérieur inconnu, vaste et infini. Elle a été pour moi, depuis dix ans, la manifestation d’un changement d’idéal. Je m’y suis intéressé car il était nécessaire que je modifie mon mode de vie, mon regard sur l’existence et sur moi-même pour guérir. Guérir de quoi ? Les questions étaient immenses… Le cancer n’a été qu’un révélateur. Je courais le monde, j’étais insatisfait et toujours en quête d’action. Je me suis posé. J’étais impatient, soumis à des changements d’humeur, enchaîné à mes émotions. J’ai appris à être là et à jouir de l’éternité d’un instant. Se taire, observer son souffle, évacuer les angoisses, apprendre à s’accepter sans se résigner : c’est la vie même. Lorsque l’on ressent une saturation du monde extérieur, il s’agit de visiter le monde du dedans, approcher en soi une vérité que l’on ne connaît pas. Dans cette harmonie du corps et de l’esprit, il y a une détente et en même temps une conscience du présent qui vous laissent plus reposé que le sommeil lui-même. Méditer, c’est l’inverse de la définition du dictionnaire. Rien de compliqué. Un exemple : vous visualisez un ruisseau qui coule, une montagne, des nuages qui passent ou une plage de sable et vous y êtes, en pleine conscience.
En méditant, j’ai pu accepter de mourir. Mais aussi apaiser les souffrances de la maladie. J’ai déjà subi trois opérations chirurgicales lourdes. La technique de l’autohypnose m’a permis d’observer ma douleur et de la tenir un peu à distance. Je suis convaincu que le corps est pénétré d’intelligence. On peut parler à ses cellules. De nombreuses études et expériences démontrent aujourd’hui que la méditation est un soin. Pourquoi toujours engager un combat frontal avec ce qui va vous détruire ? Je passe par des moments très difficiles mais j’ai un recours. Si je me réveille le matin et que je vais mal, je médite, j’élimine ma douleur et je me concentre sur certains points de mon corps… Bien sûr, il y a des frustrations et des déceptions dans la méditation. Mais aussi des rencontres : celles de quelques maîtres en simplicité et en gaieté qui vous révèlent à vous-même.
Je suis un méditant laïque. Mais la discipline de la méditation m’a fait ressentir qu’il y a bien, en nous, une force qui nous dépasse.

Eric-Emmanuel Schmitt « Le point de vue de l’autre »

J’ai découvert la méditation lors d’un voyage au Japon en contemplant l’ordonnancement d’un jardin zen. De manière aussi subite qu’inattendue, j’ai alors expérimenté la perte de soi, l’éclatement de la pensée et le bien-être qui en découle. Ayant vécu cette expérience bien malgré moi, j’ai voulu en savoir plus sur la pratique de la respiration, les postures… En Belgique, où je réside, j’ai pris quelques cours de yoga avec des moines bouddhistes zen. J’ai quelques recettes en main qui me servent notamment pour écrire. Grâce à la méditation, on peut se mettre à l’écart, se détacher de ce qui nous retient et saisir ainsi plus facilement le point de vue de l’autre. Ce qui est le propre de l’écriture. Mon livre préféré ? « Le Livre tibétain de la vie et de la mort » de Sogyal Rinpoché, qui nous enseigne le détachement à l’égard de nous-même et la proximité avec l’autre.
Source : http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire/dossier/097828/pourquoi-ils-meditent.html

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